Nadja

De Casiopea


Comme je m'étais rendu au « marché aux puces » de Saint-Ouen...

Le pouvoir d'incantation que Rimbaud exerça sur moi vers 1915, et qui depuis lors s'est quintessencié en de rares poèmes tels que Dévotion est sans doute à cette époque, ce qui m'a valu, un jour où je me promenais seul sous une pluie battante, de rencontrer une jeune fille la première à m'adresser la parole, qui, sans préambule, comme nous faisions quelques pas, s'offrit à me réciter un des poèmes qu'elle préférait : Le Dormeur du Val. C'était si inattendu, si peu de saison. Tout récemment encore, comme un dimanche, avec un ami, je m'étais rendu au « marché aux puces » de Saint-Ouen (j'y suis souvent, en quête de ces objets qu'on ne trouve nulle part ailleurs, démodés, fragmentés, inutilisables, presque incompréhensibles, pervers enfin au sens où je l'entends et où je l'aime, comme par exemple cette sorte de demicylindre blanc irrégulier, verni, présentant des reliefs et des dépressions sans signification pour moi, strié d'horizontales et de verticales rouges et vertes, précieusement contenu dans un écrin, sous une devise en langue italienne, que j'ai ramené chez moi et dont à bien l'examiner j'ai fini par admettre qu'il ne correspond qu'à la statistique, établie dans les trois dimensions, de la population d'une ville de telle à telle année, ce qui pour cela ne me le rend pas plus lisible) notre attention s'est portée simultanément sur un exemplaire très frais des Œuvres complètes de Rimbaud, perdu dans un très mince étalage de chiffons, de photographies jaunies du siècle dernier, de livres sans valeur et de cuillers en fer. Bien m'en prend de le feuilleter, le temps d'y découvrir deux feuillets intercalés : l'un copie à la machine d'un poème de forme libre, l'autre notation au crayon de réflexions sur Nietzsche. Mais celle qui veille assez distraitement tout près ne me laisse pas le temps d'en apprendre davantage.



Pervers enfin comme cette sorte de demi-cylindre blanc irrégulier...


El poder de encantamiento que Rimbaud ejerció en mí hacia 1915, y que desde entonces se sofisticó en excepcionales poemas tal Dévocion es sin duda en esa epoca, lo que me costó, un día que paseaba sólo bajo un aguacero, encontrar a una joven, primera en dirigirme la palabra, quien, sin preámbulo, como caminabamos ya, se ofreció a recitarme uno de los poemas que prefería : El Durmiente del Valle. Era tan inesperado, tan fuera de estación. Recientemente aún, como un Domingo, con un amigo, fui a la « feria de las pulgas » de Saint-Ouen ( estoy a menudo, en busca de esos objetos que uno no encuentra en ningún lado más, fuera de moda, fragmentados, inutilisables, casi incompréhensibles, perversos en fín en el sentido que lo entiendo y que lo amo, como por ejemplo esta suerte de demicilindro blanco irregular, barnizado, presentando relieves y depresiones sin significado para mí, estriado por horizontales y verticales rojas y verdes, preciadamente contenido en un joyero, bajo un lema en italiano, que llevé conmigo a casa et examinandolo terminé por convenir que no corresponde más que a la estadistica, establecida en las tres dimensiones, de la población de una ciudad de tal a tal año, lo que no lo vuelve más legible para mí) nuestra atención cayó simultaneamente sobre un ejemplar muy reciente de Obras completas de Rimbaud, perdido en un muy delgado mostrador de trapos, fotografias amarillentas del siglo pasado, libros sin valor alguno y cucharas en metal. Algo bueno me trae hojearlo, el tiempo de descubrir dos cuadernillo intercalados: uno copia a maquina de un poema de forma libre, el otro anotación a mano de reflexiones sobre Nietzsche. Pero la que vela distraidamente cerca no me da el tiempo de aprender mas.


André Breton, fragmento de Nadja, 1928.